Établir la « prochaine normalité » : concevoir les bonnes infrastructures d’un monde après la pandémie

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Roberto Mezzalama Member Name

Associé principal, Golder Europe

La pandémie mondiale de la COVID-19 a changé nos vies de façon radicale en très peu de temps. Nous parlons d’une « nouvelle normalité », mais, pour beaucoup d’entre nous, il y a toujours espoir que la vie reprenne son cours normal après la découverte d’un vaccin. Cependant, désirons-nous vraiment retourner à cette version de la « normalité », particulièrement en ce qui a trait à nos infrastructures urbaines?

Les périodes extrêmes, comme celle que nous traversons, sont une occasion de faire preuve d’innovation, de voir le monde différemment et d’imaginer une « prochaine normalité » qui ne reproduit pas simplement le passé ou le présent. Pour la communauté de professionnels appelés à participer à la planification des infrastructures, il s’agit du moment idéal pour réfléchir sur les répercussions de la pandémie sur le monde après la COVID, pour prévoir des changements continus à envisager et pour imaginer de nouvelles possibilités de transformation.

Lorsque vient le temps de considérer la durabilité de l’infrastructure, il s’agit autant de réaliser le bon projet que de bien réaliser le projet. Quels sont les bons projets à l’heure actuelle? Et, en se projetant au‑delà des projets dans les villes existantes, il faut aussi repenser la façon de concevoir les nouvelles villes, en particulier en Asie, où l’urbanisation croissante crée une demande énorme. Comment ces villes devraient-elles être planifiées?

Bien sûr, le stade est encore celui des inconnues, des incertitudes et des spéculations, en ce qui concerne la façon de gérer la pandémie elle-même, oui, mais aussi ses conséquences. Une chose est claire : la demande en infrastructures en Europe a chuté pendant le pic de la COVID. À cette étape, il est encore impossible de prédire si la demande retournera aux niveaux antérieurs, ou s’il y aura des répercussions à beaucoup plus long terme ou durables sur notre façon de vivre, de travailler, de voyager, de faire de l’exercice, de socialiser et plus encore.

Effets de la pandémie sur les transports, Internet et le marché de l’électricité

L’un des effets les plus évidents de la pandémie sur les villes a été la réduction spectaculaire de la circulation, tant sur les routes que dans l’espace aérien. Le transport de marchandises demeure occupé, mais le transport des passagers de tous types est à la baisse. Il sera intéressant de voir si la circulation habituelle se rétablira au rythme de la réouverture des frontières et de l’assouplissement des restrictions, ou si elle n’atteindra plus les sommets d’avant.

Si les transports ont décliné, l’usage d’Internet a grimpé en flèche, alors que les gens travaillaient et étudiaient à la maison et accédaient à davantage de services en ligne, y compris ceux de vidéoconférence et de divertissement. Les conséquences de la hausse de la demande n’ont pas été uniformes. Dans les pays où les réseaux sont plus faibles, la vitesse de connexion était très limitée.

La demande en électricité est un autre aspect intéressant des changements apportés par la COVID. L’Italie a connu une baisse de la demande globale, mais ce ne sont pas tous les exploitants qui ont vécu cette baisse de la même façon. La combinaison des sources d’électricité a changé, les énergies renouvelables connaissant notamment une hausse.

Quelle sera la durée des changements, et pour combien de temps en profiterons-nous?

Combien de temps les changements vont‑ils durer : un an, cinq ans ou indéfiniment? Peu sont ceux qui croient que les choses reviendront à la « normale » en une seule année, mais il est difficile de prédire les changements qui seront permanents. Déjà, certaines grandes sociétés ont laissé entendre que le travail à domicile marquera la fin du modèle des tours de bureaux. Il est fort probable que les voyages d’affaires diminueront en fréquence maintenant que les gens se sont habitués à communiquer par vidéoconférence.

Au moins, à l’échelle locale, il est possible de constater les effets que les changements dans la circulation, en particulier, ont entraînés sur l’environnement. Des améliorations tangibles de la qualité de l’air dans les grandes villes sont perceptibles, allant même jusqu’à rendre visibles des points de vue qui ne l’avaient pas été depuis une génération, voire davantage. La nature a également « repris ses droits » sur des aires urbaines, animaux et poissons revenant dans des zones où ils n’avaient pas été vus depuis longtemps. Il est particulièrement difficile de déterminer si les bienfaits environnementaux locaux auront un impact mesurable sur l’environnement à l’échelle mondiale ou à plus long terme. La mesure de quelques mois est infinitésimale pour la biologie, les habitats et les changements climatiques.

Il y a espoir que, au fur et à mesure que les villes rouvriront, se sera enraciné, tant sur le plan individuel que dans les entreprises, un changement durable de conscience et de comportement qui fera place à une plus grande sensibilisation à l’égard de l’impact de nos modes de vie sur l’environnement local et mondial. Après avoir ressenti ce que c’est que de vivre dans une ville où l’air est pur, les gens sont plus susceptibles de réfléchir à la façon de rendre de tels changements permanents.

Une histoire de deux villes : Milan et Turin

L’Italie ayant été le premier pays européen durement touché par la COVID-19, il est possible de tirer des enseignements utiles de la façon dont Milan et Turin ont réagi aux conséquences de la pandémie sur les infrastructures et sur le mode de vie.

Milan est depuis longtemps aux prises avec la congestion routière et la pollution de l’air. Cependant, lorsque la pandémie a frappé, Milan avait déjà élaboré un plan de résilience et d’adaptation. La ville était bien préparée à tenir compte des conditions nécessaires au rétablissement, de ce qu’elle pourrait devenir après le virus, du degré d’appétit pour le changement, de la rapidité à laquelle ce changement pourrait ou devrait se produire et des objectifs qu’il serait raisonnable d’atteindre compte tenu des limites.

L’administration municipale a profité de l’occasion pour mettre en œuvre certains aspects des changements déjà envisagés ou prévus. Parmi les aspects pris en compte dans le plan de Milan, on retrouve la nécessité de maximiser la flexibilité du rythme et du moment des déplacements à destination et en provenance de la ville (par exemple en décalant les heures de travail ou d’école), la nécessité de réduire les déplacements dans la ville, le désir de convertir des espaces pour les loisirs et le bien-être, ainsi que le besoin de répartir les services, les expériences culturelles et les activités économiques pour réduire la congestion et faciliter l’accès à partir des différents quartiers (à moins de 15 minutes de marche). Le plan mettait aussi fortement l’accent sur l’inclusion sociale, la collectivité, la collaboration et l’assistance, notamment en assurant un logement adéquat, ainsi que l’équité et la facilité d’accès aux services numériques et à Internet, en particulier afin de permettre l’« apprentissage intelligent ».

Le transport demeurera un défi à Milan, où il y a une forte culture automobile et où la pandémie a créé une crainte vis-à-vis de l’utilisation des transports en commun. Avant la pandémie, les investissements dans les transports en commun à Milan augmentaient de 10 % par an, l’objectif étant l’électrification complète du réseau d’ici 2030. Malgré les circonstances actuelles, l’investissement et la promotion auprès de la collectivité d’un changement dans les attitudes et les approches à l’égard du transport dans la ville se poursuivent.

Un autre facteur à considérer à Milan est qu’il pourrait y avoir une augmentation de l’abandon d’actifs ou d’immeubles dû à une baisse d’occupation par des bureaux et commerces. Il s’agit d’une myriade de possibilités de réaménagement créatif. Les espaces vides pourraient devenir des espaces de stationnement ou, mieux encore, des espaces verts publics ou des terres d’agriculture communautaire ou de production alimentaire.

À Turin, plutôt que les politiques et l’administration publiques, c’est le secteur universitaire qui a soutenu la réponse de la ville à la pandémie, jouant un rôle crucial dans la refonte du programme local d’infrastructures. Il s’agit d’un exemple de la capacité des universités à être plus que des usines de diplômés prêts à travailler, à agir comme partenaires de recherche et d’innovation, à jouer un rôle important dans la structure municipale et à contribuer au développement de la société dans son ensemble. Les universités ont d’abord mis l’accent sur l’impact social, mais elles ont aussi joué un rôle actif dans la promotion du changement, la relance de l’économie et la création de partenariats multipartites (comme avec le gouvernement et les industries) grâce à leurs idées et à leurs relations.

Les universités ont participé à la révision du plan directeur de la ville, dont certains des principaux défis consistaient à repenser et à réaménager les zones industrielles abandonnées afin de faciliter des modes de vie durables qui génèrent d’importants avantages environnementaux et sociaux. Il était particulièrement important que l’accent soit mis sur le tissu social, et des lignes directrices ont été ajoutées pour tenir compte de l’« infrastructure sociale » qui renforce la cohésion sociale et la solidarité au sein de la ville.

Les exemples de Milan et de Turin sont inspirants par leur ambition à imaginer et à créer des villes durables où il fait bon de vivre. Grâce à leur vivacité d’esprit et à leur capacité d’adaptation, ces villes ont profité du changement soudain des modes de vie pendant la pandémie pour améliorer la façon de vivre, maintenant et à l’avenir.

Lors d’une pandémie, le concept de « villes‑santé » prend un nouveau sens et se redouble d’urgence. Il faut harmoniser le paradigme actuel en temps de pandémie de rétablissement, d’adaptation et de transformation avec les objectifs existants de résilience et de durabilité. Il est fort possible que la demande actuelle, à la baisse, d’infrastructures nouvelles dans certaines régions touchées par la COVID ne rebondisse pas aussitôt, de sorte que la réaffectation d’infrastructures existantes pourrait constituer la majeure partie des travaux sur le terrain pour la prochaine décennie.

Il faut nous inspirer des méthodes que nous utilisons pour évaluer les nouvelles infrastructures en fonction des objectifs de développement durable et appliquer ces approches à la transformation des infrastructures existantes, tant au niveau des bâtiments que des villes. De la créativité et de l’audace seront nécessaires pour saisir cette occasion des plus inattendues de faire un pas vers des villes véritablement saines.

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