
Alan Auld Member Name
Consultant sénior
Lorsque vient le temps de réaliser des excavations ou de creuser des tunnels d’une grande profondeur, la stabilité du sol et la gestion des eaux souterraines sont des préoccupations de première importance. En effet, les risques qui y sont associés vont bien au-delà de la stabilité de l’excavation : s’ils ne sont pas bien gérés, ils peuvent avoir des répercussions majeures sur un projet et ses coûts.
Parmi les nombreuses stratégies qui permettent de contrôler l’infiltration d’eau et d’assurer la stabilité lors d’activités d’excavation et de creusement de tunnels, il en existe une, quelque peu méconnue, qui s’inspire de la rudesse de l’hiver : la congélation des sols. Et grâce à la mise au point de techniques de congélation artificielle, cette méthode autrefois réservée aux excavations en climat froid ou alpin s’est répandue dans divers milieux.
Depuis plus de 150 ans, les ingénieurs ont recours à des techniques de congélation artificielle afin de stabiliser les sols et de limiter l’infiltration d’eau souterraine dans les projets miniers et de creusement de tunnels.
Mais comment fonctionne la congélation artificielle des sols?
Quiconque a déjà utilisé un congélateur ou tenté de creuser un trou dans la terre gelée a pu constater l’une des règles les plus simples et les plus manifestes de la nature : toute matière congelée est dure, stable et imperméable.
L’étude de site : un aspect incontournable de la gestion des risques pour la construction en souterrain
Invisible et imprévisible, le sol qui s’étend sous nos pieds peut être la source de nombreux risques et problèmes complexes lors des projets d’excavation d’envergure. Pour gérer ces risques de façon proactive, il n’y a rien comme une étude de site détaillée qui permet d’anticiper les conditions du sol. Cette étude est un point de départ essentiel pour assurer la stabilité du projet de construction et réduire le risque de mauvaises surprises.
La congélation transforme l’eau souterraine en glace. Elle permet de renforcer et, par le fait même, de stabiliser les sols saturés et instables (principalement les sols sablonneux, mais aussi le limon et l’argile). Les sols ainsi congelés peuvent protéger les excavations des infiltrations de terre et d’eau souterraine.
Il existe actuellement deux méthodes de congélation artificielle. La méthode à privilégier varie selon le contexte de chaque projet. Les deux méthodes requièrent le forage d’une série de trous destinés à recevoir des tubes de congélation le long du périmètre de l’excavation. La première méthode, connue sous le nom de congélation à la saumure ou au chlorure de calcium, consiste à refroidir une saumure dans une installation frigorifique puis à l’introduire dans le circuit de tubes congélateurs à travers les trous de forage à une température comprise entre -250 °C et -350 °C. Le passage de la saumure dans le circuit entraîne graduellement la formation d’un « bloc » de sol congelé autour des tubes. La seconde méthode, plus rapide mais plus coûteuse, utilise l’azote liquide. Elle consiste à pomper dans les trous de forage de l’azote liquide d’une température de -1 900 °C. L’azote entraîne alors une congélation rapide du sol et est ensuite libéré dans l’atmosphère.
Peu importe le choix du fluide frigorifique, la congélation des sols est un processus temporaire : une fois l’ouvrage souterrain achevé, le système est désactivé, après quoi le sol dégèle et l’eau souterraine retrouve sa dynamique habituelle.
Une étude de site pour commencer du bon pied
Si l’installation et l’activation d’un système de congélation du sol sont des processus complexes, l’étude des caractéristiques et du comportement du sol congelé et la conception de structures en conséquence l’est encore plus. Ce travail requiert l’expertise de spécialistes et doit se fonder sur une étude approfondie du site concerné.
L’étude du site doit permettre la collecte d’un éventail de données sur les conditions du sol grâce à des essais sur place et à l’analyse en laboratoire de carottes prélevées sur le site. Elle est l’occasion pour les spécialistes d’acquérir la compréhension la plus précise possible des conditions géologiques du site (ce qui comprend la séquence stratigraphique ainsi que la disposition, l’épaisseur, la force et la stabilité des unités géologiques qui la composent) et de ses conditions hydrogéologiques (le nombre et la nature des aquifères, les propriétés hydrauliques des unités géologiques, la direction de l’écoulement des eaux souterraines ainsi que la qualité de ces dernières).
La conception du système de congélation
L’entrepreneur spécialisé en congélation des sols déterminera le type de fluide frigorifique approprié (saumure ou azote liquide), la capacité de l’installation frigorifique, la température et le débit de circulation du fluide ainsi que la configuration du circuit de tubes congélateurs. Il concevra également un système qui permet de surveiller la température du sol.
Il est essentiel de faire appel aux services d’un expert pour assurer la conception thermique de l’opération, une étape qui consiste à prévoir les taux de congélation du sol. Cet expert confirmera le délai minimal à prévoir avant le début de l’excavation, selon le temps nécessaire pour qu’un bloc soit entièrement congelé et qu’il puisse résister aux pressions du sol et de l’eau. Les prédictions de l’évolution de la congélation du sol seront ensuite comparées avec la congélation réelle observée dans le cadre de la surveillance du site.
Pour mener à bien l’étape de conception thermique, il est nécessaire d’avoir des données sur la température du fluide frigorifique, la température initiale du sol, le rayon des tubes congélateurs ainsi que la conductibilité et la capacité thermiques du sol à l’état normal et à l’état congelé.
Avec toutes ces données en main, l’expert peut ensuite calculer l’évolution du bloc congelé et estimer la quantité d’énergie et le nombre de tubes congélateurs requis.
Une fois l’étape de conception thermique terminée, il est temps de concevoir l’excavation. Cette étape requiert l’intervention de spécialistes capables de prévoir le comportement du sol congelé et de concevoir sa structure. La conception de la structure du sol congelé comprend la détermination des propriétés du sol à l’état congelé et à l’état normal, laquelle s’appuie sur les données recueillies lors de l’étude du site. Ensuite, au regard des charges prévues par la conception du projet, les spécialistes calculent la résistance du sol congelé et évaluent la déformation qu’il subira durant l’excavation.
À ce stade du processus de conception, les spécialistes peuvent aussi prévoir le soulèvement du sol et le tassement dû au dégel. Pour ce faire, ils emploient des logiciels d’éléments finis hautement spécialisés et se fondent sur des données sur le type de sol et sa gélivité.
Des exemples bien concrets de congélation des sols
Au Royaume-Uni, on a eu recours à la congélation artificielle pour stabiliser le sol et empêcher l’infiltration d’eau souterraine lors du creusement d’un grand nombre de puits de mine, en particulier dans l’industrie du charbon. Cette technique a notamment permis d’aménager les dix puits de la mine Selby de la défunte société British Coal. Ces puits au revêtement de béton, dont le diamètre interne varie de 7 à 8 mètres et la profondeur, de 383 à 1 043 mètres, ont été creusés à travers des grès du Bunter aquifères et des grès de base instables. Pour réaliser ces ouvrages, le sol a été congelé sur une profondeur de 273 à 305 mètres.
La congélation artificielle a aussi été utilisée pour creuser un grand nombre de puits de mine de charbon en Allemagne. Ces puits avaient des diamètres semblables à ceux de la British Coal et leur profondeur pouvait dépasser les 1 000 mètres. Là encore, la congélation s’est révélée nécessaire pour pénétrer des strates instables et aquifères composées de sable, de limon et d’argile. Dans le cadre de ces projets, le sol a été congelé jusqu’à 600 mètres de profondeur.
La congélation artificielle a également été employée dans des mines canadiennes, notamment en Saskatchewan, où les puits des mines de potasse traversent les strates de Blairmore, lesquelles sont instables et aquifères. Ces travaux ont nécessité la congélation du sol sur une profondeur de 600 mètres et, plus récemment, sur une profondeur de 720 mètres.
Au-delà du secteur minier, la congélation artificielle des sols a été utilisée dans le cadre de travaux de génie civil comme l’aménagement de puits d’aération, de rameaux de communication et de puits d’accès aux tunneliers ainsi que la construction de tunnels par emboîtement à poussée hydraulique. Dans bien des cas, on a préféré la congélation artificielle à d’autres méthodes plus conventionnelles de gestion du sol et des eaux souterraines qui avaient été jugées inapplicables.
Dans une foule de domaines, la nature s’est révélée une inspiration fiable et efficace pour gérer les risques associés à différents types de sol. Cela étant, pour tirer tous les avantages offerts par la congélation artificielle des sols, il est gagnant de faire affaire dès le départ avec des experts spécialisés dans l’étude et la conception des sols. Vous éviterez ainsi les problèmes que peut engendrer une congélation mal conçue ou mal réalisée.
Ce texte fait partie d’une série d’articles informatifs que nous avons rédigés pour vous aider à gérer les risques liés au sol aux étapes de planification, d’approvisionnement, de conception et de construction des projets d’infrastructure souterraine. Nos prochains articles aborderont en détail d’autres aspects cruciaux afin de vous fournir un panorama complet des pratiques exemplaires en gestion des risques du sol. Pour ne rien manquer des articles de cette série et de nos autres publications utiles, suivez-nous sur LinkedIn ou abonnez-vous à notre liste de diffusion.