
Pendant plus d’un siècle, les noyaux urbains et les zones riveraines de nombreuses municipalités dans le monde ont connu un développement commercial et industriel massif. En conjonction avec de plus récentes politiques favorisant l’intensification urbaine et limitant l’offre de terrains, ce développement a entraîné, dans de nombreux pays, le réaménagement à grande échelle d’anciens sites contaminés.
Cependant, il faudra peut-être exercer une pression législative pour faire avancer cette nouvelle tendance, en offrant des mesures incitatives financières pour modifier les pratiques de gestion des sols ou en augmentant les sanctions en cas de mauvais usage de cette ressource non renouvelable. Les municipalités pourraient ainsi réduire leurs propres coûts de gestion des sols, conserver les sites d’enfouissement, gérer le placement de remblais sur leur territoire et améliorer les résultats pour tous les intervenants.
À titre d’exemple, il y a le Règlement de l’Ontario 406/19, qui porte sur la façon dont les « sols de déblai » – les sols qui quittent les sites de construction ou d’aménagement (sites d’origine) – seront gérés à l’avenir. Le règlement contient des leçons que d’autres ordres de gouvernement, y compris les municipalités du pays, peuvent appliquer. La gestion des sols de déblai en Ontario doit aujourd’hui faire l’objet d’une plus grande attention, mais elle crée aussi des occasions pour ceux qui cherchent à prendre les devants.
Comprendre la tendance législative
Habituellement, la majeure partie des sols de déblai générés pendant les travaux de construction sur les sites contaminés aboutissait au site d’enfouissement, même si l’utilisation commerciale ou industrielle antérieure du site n’avait pas eu d’incidence importante sur ces sols. Malheureusement, l’absence d’uniformité des définitions de « déchets » et les exigences réglementaires incohérentes du passé quant aux sites de réutilisation ont découragé la réutilisation appropriée des sols de déblai. Le site d’enfouissement n’était pas toujours l’option la plus rentable, mais, dans bien des cas, celle ci était la plus simple et exigeait le moins de planification préalable. De plus, en l’absence d’une orientation et d’une surveillance réglementaires claires, notamment de mécanismes visant à protéger les destinataires des sols de déblai, de nombreux sols contaminés ont été mal gérés et éliminés sans égard à la protection de l’environnement ou de la valeur du terrain.
Essentiellement, le Règlement de l’Ontario 406/19 vise à garder les sols « contaminés » loin des sites « propres », à veiller à ce que les destinataires des sols de déblai soient pleinement informés et à réduire la pression sur la capacité des sites d’enfouissement. Le règlement a pour but de clarifier la façon dont les sols doivent être désignés pour une réutilisation appropriée. Il donne également de nouvelles possibilités de réduire les coûts d’élimination des sols et l’empreinte écologique globale du site d’origine en facilitant la réutilisation bénéfique des sols de déblai et en les gardant loin des sites d’enfouissement.
En vertu du Règlement de l’Ontario 406/19, afin de les protéger, les destinataires doivent avoir accepté au préalable la quantité et la qualité convenues des sols avant que tout sol soit enlevé d’un site d’origine. Le règlement offre par ailleurs des options pour mieux organiser les projets. Parfois, les sols de déblai d’un chantier de construction peuvent être directement transportés par camion jusqu’à son nouvel emplacement pour être utilisés comme remblai dans le cadre d’un autre projet.
Habituellement, ce n’est pas aussi simple que cela. Le Règlement de l’Ontario 406/19 contient donc des dispositions relatives au stockage temporaire des sols. Il peut être nécessaire de procéder à un traitement, par exemple l’assèchement ou l’enlèvement des pierres et des débris ligneux, jusqu’à la réhabilitation en cas d’impact chimique. Le règlement prend en compte les sites de gestion des sols de « catégorie 1 », dont certains sont autorisés à stocker des sols avant leur utilisation suivante et d’autres peuvent traiter les sols pour en éliminer les contaminants. Il faut moins de permis pour les sites de « catégorie 2 », mais certains traitements (à savoir le tri et les traitements chimiques) et le volume de sols pouvant être stockés sont visés par des restrictions.
Le Règlement de l’Ontario 406/19 reconnaît en outre que des sols contaminés ne sont pas générés dans tous les projets, de sorte que certains projets peuvent être assujettis à moins de règles. Le règlement comporte des dispositions qui s’appliquent expressément aux sols de déblai provenant de sites contaminés ou nouveaux, de bassins de gestion des eaux pluviales et de projets d’infrastructure comme le remplacement d’égouts ou de conduites d’eau principales.
Les municipalités qui trouvent des façons de tirer parti des possibilités de transformation des matières résiduelles en ressources et qui adoptent leurs propres règlements administratifs pourraient constater une réduction des coûts de gestion des déchets solides dans le cadre de leurs propres projets, une meilleure gestion du déplacement des sols « contaminés » sur leur territoire et une diminution plus lente de l’espace des sites d’enfouissement; et bénéficier d’une meilleure réputation comme endroit où il est bon d’y faire des affaires.
Cinq leçons clés que les municipalités peuvent tirer du Règlement de l’Ontario 406/19
1. Commencez tôt à réfléchir à une utilisation bénéfique
Pour appliquer efficacement un modèle de transformation des matières résiduelles en ressources utiles, il est important de commencer tôt la planification afin de comprendre la meilleure façon de réutiliser les matières. Dans le cas des sols de déblai, il faut simplement du temps pour découvrir quels autres projets de construction en cours ou prévus pourraient nécessiter un remblai adéquat. Si aucun site de réutilisation bénéfique ne vient immédiatement à l’esprit ou si les calendriers des projets respectifs ne concordent pas, il est possible d’utiliser un site temporaire de stockage des sols (p. ex. un site de catégorie 1 ou 2) avant qu’ils puissent être réutilisés bénéfiquement ailleurs.
Il est essentiel de comprendre les caractéristiques des déchets pour leur trouver une réutilisation viable. Dans le cas des sols de déblai, y a-t-il des contaminants qui devront être traités? Faudra t il assécher (passivement ou activement) les sols avant qu’ils puissent être transportés? Les matières possèdent-elles les propriétés physiques requises pour leur réutilisation prévue? Les matières conviennent elles sur le plan géotechnique pour être utilisées comme remblai stabilisé? Le fait qu’une tierce partie compétente effectue l’évaluation mettra davantage le destinataire des sols de déblai en confiance avant de les accepter.
2. Trouvez des options d’élimination autres que le site d’enfouissement
L’enfouissement peut-être la meilleure façon d’éliminer certains types de déchets, en particulier les matières qui ne peuvent pas être recyclées ou valorisées, mais cette option est de plus en plus considérée comme étant un dernier recours. Au cours des dernières décennies, le recyclage des matières et le traitement des déchets organiques ont permis de réacheminer d’innombrables tonnes de déchets qui, au cours des générations précédentes, auraient été envoyés à l’enfouissement. Nous pouvons nous attendre à ce que cette tendance se maintienne.
En ce qui concerne les sols de déblai, le Règlement de l’Ontario 406/19 est un exemple d’utilisation de pouvoirs législatifs afin d’accélérer la tendance visant à éviter l’enfouissement. Cependant, le règlement n’atteindrait pas son but sans que soient autorisées des solutions de rechange pratiques et rentables à l’enfouissement des sols de déblai. En vertu du règlement, il est possible de gérer les sols de déblai non pas comme des déchets, mais comme une ressource réutilisable au moyen d’une désignation et d’une documentation adéquates.
Les sites de stockage temporaire de catégorie 1 et 2 sont des exemples d’outils qui peuvent être utilisés pour veiller à ce que des sols autrement utiles puissent être placés temporairement jusqu’à ce qu’une réutilisation bénéfique leur soit trouvée, plutôt que de les transporter vers un site d’enfouissement en raison de contraintes liées au calendrier du projet.
Dans le cadre de leurs projets d’infrastructure, les municipalités peuvent contribuer à promouvoir la tendance consistant à éviter l’enfouissement des sols de déblai en encourageant leur réutilisation et en facilitant l’aménagement et l’utilisation de sites de stockage temporaire sur leur territoire.
3. Séparez les déchets problématiques du reste
Au cours des dernières décennies, les ménages canadiens ont acquis une nouvelle aptitude, soit celle de savoir « quels déchets vont où » : quelles matières recyclables vont dans le bac bleu; quels déchets compostables vont dans le bac vert; et qu’est-ce qui est envoyé au site d’enfouissement? Des défis semblables se posent pour la gestion des sols de déblai, particulièrement lorsqu’il s’agit de sols provenant de sites contaminés réaménagés. Les sites contaminés peuvent générer des sols de déblai dont la qualité varie grandement. Dans certains cas, il peut être approprié de les réutiliser comme remblai propre et stabilisé. Dans d’autres, il peut être nécessaire de les traiter avant de les réutiliser. Dans certains autres cas, les sols contaminés doivent tout de même être enfouis.
Pour maximiser le potentiel de réutilisation d’un flux de déchets, il est essentiel de comprendre la composition des matières. Dans le cas des sols de déblai, cela revient à une caractérisation complète de la qualité et de la quantité des sols qui devront être gérés. Le Règlement de l’Ontario 406/19 prévoit un processus de désignation des sols, notamment un contrôle des renseignements visant à comprendre les problèmes susceptibles d’être présents sur le site, qui est suivi d’un échantillonnage et d’une analyse approfondis des sols en tant que tels.
Dans le cadre des programmes municipaux de recyclage et de compostage, il faut du temps et des efforts pour séparer la matière de qualité supérieure du reste dans le but d’optimiser la valeur de réutilisation du produit final et de réduire au minimum le fardeau pour les sites d’enfouissement. Il en va de même pour les sols de déblai. Les responsables de projet qui sont prêts à investir tôt et adéquatement pour caractériser leurs sols de déblai seront en mesure de bien les séparer des sols problématiques, réduisant ainsi au minimum la quantité de sols devant être éliminés et maximisant les options de réutilisation bénéfique.
4. Gérez les données et faire le suivi
Un chargement de sols de déblai peut ressembler à un autre, mais les caractéristiques environnementales et/ou géotechniques des sols peuvent être très différentes. Déployer des efforts afin de trier et de séparer des déchets n’est pas très utile si l’utilisateur final des matières recyclées n’est pas convaincu que leur qualité répond à ses exigences. Le programme de séparation des déchets doit permettre de prouver les caractéristiques, la provenance et d’autres détails concernant les déchets.
En plus des exigences en matière d’échantillonnage et d’analyse, le Règlement de l’Ontario 406/19 prévoit l’élaboration et la mise en œuvre d’un solide programme de gestion des données pour effectuer le suivi des chargements de camions et donner l’assurance au site de réutilisation qu’il reçoit seulement ce qui avait été accepté au préalable. Les données peuvent être gérées numériquement à l’aide de fiches de transmission électronique de documents téléversées dans les systèmes de gestion des données. Il est possible de suivre les déplacements des sols à l’aide d’applications numériques offertes sur le marché ou au moyen de la mise sur pied de plateformes personnalisées pour des projets plus complexes.
5. Tenez-vous au courant des options de stockage et de réutilisation
Le secteur privé est déjà intervenu pour répondre aux besoins lorsqu’il était possible de transformer de manière rentable des déchets en ressource. Le Règlement de l’Ontario 406/19 a déjà permis l’aménagement de sites de stockage de catégorie 1 et 2 qui satisfont aux exigences du règlement, ce qui comprend des pratiques prescriptives de manutention et de stockage conçues pour protéger à la fois l’environnement local et l’intégrité des sols de déblai.
Pour conclure
Traiter les sols de déblai comme des ressources non renouvelables plutôt que comme des déchets offre de nombreux avantages, notamment une réduction des coûts de gestion des déchets solides et une prolongation de la durée de vie des sites d’enfouissement, ainsi qu’une plus grande clarté concernant les sols de déblai et des options pour ceux ci. De plus, il devient plus facile de déterminer et de gérer les sols contaminés, et d’en assurer le suivi, plutôt que de perdre de vue leur destination. Enfin, cette approche contribue à atteindre l’objectif des municipalités et de leurs résidents d’améliorer la durabilité globale de leurs projets de réaménagement. Le Règlement de l’Ontario 406/19 est un outil législatif qui favorise une meilleure gestion de cette ressource non renouvelable en Ontario. Comme il a été démontré cependant, les décideurs locaux peuvent obtenir partout les mêmes résultats.
Denise Lacchin possède plus de 28 ans d’expérience dans l’élaboration de stratégies et de solutions de réaménagement de sites contaminés en Ontario. Elle a travaillé avec succès avec des clients à l’évaluation des répercussions environnementales sur de nombreux sites contaminés par des hydrocarbures pétroliers, des matières inorganiques et des métaux, des solvants chlorés et des déchets radioactifs de faible activité, ainsi qu’à l’élaboration de stratégies de réhabilitation complémentaires par rapport aux objectifs de réaménagement des clients. Son expérience à titre de personne qualifiée en évaluation environnementale de site en Ontario et de professionnelle de l’environnement spécialisée dans l’évaluation et la remise en état des sites comprend l’élaboration de plans de gestion des sols, la mise en œuvre de pratiques exemplaires et de systèmes de suivi pour la gestion des sols et la mise en place d’approches fondées sur les risques pour de grands sites contaminés et de grandes infrastructures conformément au Règlement 153/04 de l’Ontario et maintenant au nouveau Règlement 406/19 sur la gestion des sols sur les lieux et des sols de déblai.
Carl Schroeder (M.A.Sc., P.Eng.) est un ingénieur professionnel en environnement de l’Ontario qui compte plus de vingt (20) ans d’expérience dans tous les aspects de l’évaluation environnementale de site, y compris les phases I et II des évaluations environnementales de site et la réhabilitation de sites à des fins de diligence raisonnable générale et à l’appui des dossiers de l’état du site. Carl est une personne compétente au titre du Règlement de l’Ontario 153/04, et il a aidé de nombreux clients à préparer des dossiers de l’état du site. En tant qu’ingénieur en environnement généraliste, Carl a entrepris ou géré des centaines de projets environnementaux pour de petits et de gros clients au cours de sa carrière, y compris la prestation de conseils en matière de stratégie, de réglementation et d’application aux clients sur la gestion de leurs risques environnementaux liés aux transactions immobilières, à la gestion des sols de déblai, à la démolition, au déclassement et à la gestion des infrastructures (ponceaux).