
Valérie Bertrand Member Name
Associée et géochimiste
Cet article est paru dans le numéro mars-avril 2020 de la revue Water Canada. Il est possible de le télécharger en version originale anglaise.
S’il y a un secteur où les spécialistes de l’eau sont mis au défi, c’est sans contredit le domaine minier, où toutes les facettes de la gestion et du traitement de l’eau requièrent un haut degré d’excellence et d’innovation. La question de l’eau est présente dans tous les aspects de l’exploitation minière, tout au long du cycle de vie, qu’on s’intéresse aux processus miniers ou encore à la protection de l’eau dans le milieu ambiant.
Les mines canadiennes fournissent des métaux et minéraux essentiels qui trouvent une foule d’applications dans notre vie quotidienne. Suppléments alimentaires, dentifrice, téléphones intelligents, batteries de voiture électrique… la nécessité de ces ressources n’est plus à prouver. Et dans le contexte actuel, il est plus que jamais essentiel d’assurer une exploitation responsable et durable de ces minéraux. Voilà pourquoi les sociétés minières s’efforcent de réduire au minimum leur incidence et leur empreinte, un objectif qui passe notamment par une utilisation réfléchie de l’eau.
Les plans de gestion de l’eau
Pour assurer une utilisation responsable de l’eau, il est important de prévoir des plans de gestion de cette ressource dans le cadre de la conception et de l’exploitation de la mine. Ces plans doivent couvrir toutes les étapes du cycle de vie, de la création du projet à la fermeture. Elle est bien révolue, l’époque où l’on attendait la fin de la vie d’une mine pour prévoir sa fermeture. Aujourd’hui, le processus de fermeture fait partie intégrante du projet minier, et ce, dès ses balbutiements, car l’idée n’est pas d’assainir l’eau une fois que la mine est épuisée, mais plutôt de protéger cette ressource dès le départ. En optant pour une planification proactive, il est possible d’optimiser la mine en fonction de la topographie et de la dynamique d’écoulement existantes, ce qui réduit la nécessité de traiter l’eau de même que son utilisation sur le site.
Pour assurer une utilisation responsable de l’eau, il faut d’abord dresser un bilan hydrique précis du site, un calcul qui consiste à comparer les flux d’eau qui pénètrent sur la propriété et ceux qui sont libérés dans le milieu environnant. De plus, en contexte canadien, il faut bien comprendre les dynamiques saisonnières : l’écoulement des eaux de surface y est à son paroxysme durant la crue printanière après un hiver marqué par le gel et la neige, puis est souvent limité le reste de l’année. Il est donc important de comprendre et de planifier l’utilisation annuelle d’eau de la mine afin d’être en mesure, une fois le printemps venu, de dévier l’afflux momentané d’eau de fonte, ou encore de le capter dans de vastes bassins. Or, en cet âge où les crues printanières, les précipitations et les événements pluvio-hydrologiques tendent à s’écarter des valeurs historiques, il devient nécessaire de réaliser des analyses de sensibilité pour adapter les projets à de possibles conditions perturbantes. Les changements climatiques influenceront grandement les processus de gestion de l’eau, les quantités exfiltrées, les exigences d’épuration ainsi que le rejet et la qualité des effluents, tant à court terme qu’à long terme.
L’apport d’eau souterrain requiert lui aussi une gestion tout au long de l’année, y compris lorsque la surface des bassins et des autres plans d’eau est gelée. Il est possible que des eaux salines soient interceptées en profondeur par les installations minières. En l’occurrence, il faudra prévoir une usine de dessalement, une installation dont l’aménagement peut s’avérer plus complexe et coûteux que celui d’une usine de traitement standard. Une mauvaise évaluation des principaux facteurs du bilan hydrique augmente le risque de devoir apporter de coûteux correctifs de dernière minute, ou encore de s’exposer à d’éventuelles conséquences juridiques associées au captage et au traitement de l’eau.
Les résidus miniers, c’est aussi une question d’eau
Très souvent, les métaux recherchés ne représentent qu’une faible proportion des matériaux extraits dans le cadre de l’exploitation minière. Les substances inutilisées sont entreposées dans des haldes à stériles ou des installations de confinement des résidus. En planifiant dès le départ la gestion des résidus, il est possible d’optimiser l’infrastructure de stockage de façon à réduire au minimum son incidence sur les plans d’eau, ce qui permet de réduire les besoins en matière de gestion et de traitement de l’eau.
La compréhension de la composition et du potentiel contaminant des résidus miniers est un autre aspect crucial d’une gestion efficace des résidus et de l’eau. En effet, il est important de contrôler la qualité de l’eau qui entre en contact avec les résidus avant qu’elle soit libérée dans le milieu environnant. Bien que les résidus ne contiennent pas tous des substances nocives, certains ont une forte concentration du minerai recherché. Il faut aussi noter que les constituants chimiques présents naturellement dans les minéraux peuvent se comporter différemment lorsqu’ils sont exposés au milieu environnant à la suite du concassage ou du broyage de la roche. Par exemple, les métaux et autres substances chimiques peuvent se dissoudre au contact de l’eau, ou encore s’oxyder au contact de l’air, générant un drainage minier acide qui a le potentiel d’accentuer la libération de substances chimiques provenant des résidus. Pour leur part, les résidus issus des explosifs (nitrate et ammoniac) et les réactifs utilisés lors du broyage comme les composés cyanurés et sulfatés peuvent également contribuer au potentiel contaminant des résidus. Ainsi, la composition et la structure des substances chimiques présentes dans les résidus et les eaux de contact peuvent influencer leur mécanisme de libération. La compréhension de tels procédés est nécessaire pour assurer la conception de mesures efficaces de contrôle des contaminants, l’optimisation de la gestion et du traitement de l’eau ainsi que la fermeture efficace de la mine.
Prenons l’exemple de la mine Renard de Stornoway Diamond, située dans le nord du Québec. La conception et la gestion de son infrastructure de gestion des résidus et de l’eau ont été orientées par des études initiales rigoureuses qui portaient sur l’eau, le sol, les minéraux, l’air et le milieu récepteur. La mine devant être aménagée dans un milieu sensible, on a veillé à limiter son empreinte à un seul bassin-versant de petite taille, réduisant ainsi les besoins en matière de gestion des eaux de contact. Les études ont indiqué la présence potentielle de silicates peu solubles dans certains flux de résidus, des contaminants qui risquaient d’être drainés sous forme de solides en suspension. Elles ont aussi révélé la possibilité de retrouver dans les eaux de contact des produits résiduels d’azote attribuables à l’utilisation d’explosifs.
La détermination en amont de ces sources de contamination et de leur mode de libération a éclairé la conception de mécanismes de contrôle, en plus de permettre la préparation d’une fermeture responsable dès le début du projet. Ainsi, on effectue le traitement de toutes les eaux résiduelles du site afin d’en éliminer le nitrate, l’ammoniac et le phosphore. Ce traitement repose sur un processus d’épuration biologique par nitrification et dénitrifrication et sur la filtration sur membrane.
Toutes les eaux de contact de la mine Renard sont captées, pompées puis traitées afin d’éliminer les solides en suspension. Cette opération vise à ramener les concentrations de contaminants dans les effluents à un niveau nettement inférieur aux limites applicables et ainsi à prévenir la libération de substances chimiques dans le milieu récepteur. De plus, le projet s’appuie sur un plan détaillé de gestion des explosifs qui permet de limiter l’utilisation et la perte de substances explosives dans le cadre de l’exploitation minière, contribuant à limiter la teneur en contaminants des eaux de contact des résidus miniers. Grâce à un processus d’épuration distinct effectué dans une installation de pointe (qui comprend une étape finale de microfiltration par membranes dotées de pores de quatre micromètres) la qualité des effluents excède les normes provinciales déjà très strictes.
Points clés
Pour que l’exploitation et la fermeture d’un site minier soient effectuées de façon responsable sur les plans fiscal, social et environnemental, il faut prévoir une gestion consciencieuse de l’eau et des résidus. Les plans en la matière doivent refléter les conditions du site, pouvoir s’adapter aux exigences opérationnelles et être intégrés dans la planification de la fermeture de la mine.
Pour assurer une utilisation responsable des ressources, les plans de gestion de l’eau et des résidus doivent s’appuyer sur les éléments suivants :
- un bilan hydrique détaillé qui décrit et quantifie l’ensemble des flux entrants et sortants et qui tient compte des changements climatiques prévus.
- une stratégie de réduction du volume des eaux de contact qui s’appuie sur la déviation de l’eau propre, sur une utilisation maximale des eaux de procédé et des eaux de contact et sur la réduction de l’utilisation de l’eau douce.
- la ségrégation des types d’eau pour permettre une épuration efficace des eaux de contact.
- la compréhension des sources de contamination, notamment des propriétés chimiques et physiques des résidus, de leur réactivité aux conditions du site, et de leur variabilité.
- la compréhension des propriétés du milieu récepteur, de sa capacité d’absorption et des effets cumulatifs.
Lorsqu’il est question de gestion de l’eau, il ne fait aucun doute que le secteur minier pose son lot de défis. Cela dit, en raison de leur complexité, les sites miniers constituent un champ de pratique passionnant pour les spécialistes de l’eau, qu’on pense aux aspects géochimiques, à la sélection des sites des infrastructures ou aux changements climatiques. Tout compte fait, en alliant planification rigoureuse, surveillance attentive et innovation, il est possible d’exploiter nos minéraux de façon responsable tout en assurant la protection de notre précieux or bleu.