Le boom de la construction actuel en Irlande a mené à une autre explosion : celle du volume des déchets de construction et de démolition, notamment composés de gravats de béton. Puisque les grues de bâtiment font maintenant partie du paysage de Dublin en entier, trouver une solution pour la capitale est de toute importance, surtout que les sites d’enfouissement ne peuvent accepter tous les déchets produits. Parallèlement, la consommation d’agrégats vierges – et l’impact environnemental associé – est à la hausse.
Existe-t-il une solution commune à ces deux problèmes, comme la substitution de béton concassé aux roches extraites des carrières dans certains projets de construction?
Un opérateur de site d’enfouissement de déchets en Irlande a mandaté Golder pour trouver une méthode de production d’agrégats en béton recyclé que l’agence de protection de l’environnement (EPA) de l’Irlande jugerait conforme aux réglementations de l’Union européenne (UE).
L’importance de se pencher sur les déchets de béton
Selon la directive-cadre sur les déchets de l’UE, quatre conditions doivent être satisfaites lorsqu’une matière résiduelle est transformée en « produit » qui sera utilisé à d’autres fins. Cette matière doit être communément utilisée à des fins déterminées, avoir une valeur de marché, satisfaire les exigences techniques pour l’usage prévu et ne pas présenter de risques pour l’environnement ou la santé humaine.
Golder a vite appris que de nombreuses entités ont tenté de démontrer à l’EPA que les quatre conditions de l’UE ont été respectées. Les trois premières conditions étaient faciles à remplir, car les agrégats recyclés sont couramment utilisés partout dans le monde, mais l’EPA doutait de l’absence de conséquences sur l’environnement ou la santé humaine pour les usages proposés.
Une des raisons était que malgré son apparence bénigne, un morceau de béton cassé pose des risques pour l’environnement. En raison de son pH élevé, le béton peut causer un drainage alcalin vers la nappe souterraine. Son contenu en métaux est potentiellement élevé, en partie à cause des liants utilisés dans la production du ciment. Le béton pourrait aussi contenir des cendres volantes provenant de la génération d’énergie au charbon, ce qui peut causer un drainage à forte concentration en sulfates ou rendre l’eau saumâtre et chlorurée.
Il reste que la résolution de cette énigme, soit trouver un moyen d’utiliser le béton concassé qui soit prouvé conforme aux normes de l’UE, bénéficierait énormément aux entreprises de construction irlandaises. Grâce au recyclage du béton, elles pourraient réduire leurs dépenses d’enfouissement des déchets et économiser sur l’achat d’agrégats neufs. Elles auraient même la possibilité d’éliminer le béton concassé directement sur leur chantier.
La stratégie de Golder : évaluer les risques
Pour résoudre le problème, Golder a adopté une démarche d’évaluation des risques hydrogéologiques basée sur les documents d’orientation de la Commission européenne.
Tout d’abord, elle s’est penchée sur les utilisations non acceptables du béton concassé, c’est-à-dire toute utilisation où le béton est mis en contact avec l’eau. Le remplissage d’une excavation dans le sol avec du béton recyclé était donc hors de question, vu que celui-ci interagirait avec la nappe phréatique.
En revanche, les utilisations au-dessus du sol, comme la construction d’un remblai, d’une berme ou de la base d’une chaussée surélevée au-dessus de la nappe phréatique, s’avéraient prometteuses, surtout pour les routes à surface imperméabilisée qui empêchent les précipitations de s’infiltrer.
Notre équipe a étudié les conséquences potentielles sur la nappe phréatique associées à l’utilisation d’agrégats de béton recyclés pour la construction routière. Pour ce faire, elle a dressé un modèle probabiliste du risque de lixiviation des contaminants dans la nappe phréatique à l’aide de ConSim®, un progiciel d’évaluation des risques pour la nappe phréatique mis au point par Golder.
Golder a recueilli des échantillons de béton recyclé, puis procédé à des essais de lixiviation afin d’évaluer les risques potentiels. L’exercice de modélisation a tenu compte des caractéristiques des aquifères irlandais qui régissent le transport et la destination des contaminants, et plusieurs scénarios de vulnérabilité de l’aquifère ont été envisagés afin d’estimer les conséquences et les risques potentiels.
Dans le cadre de ce mandat, nous avons aussi déterminé des valeurs limites de lixiviation jugées respectueuses de l’environnement pour le produit fini. Nous avons imposé certaines restrictions quant à l’utilisation finale du matériau. Entre autres, celui-ci ne peut pas être en contact avec l’eau et doit servir uniquement à la construction routière, car il s’agit de l’usage modélisé lors de l’évaluation des risques.
Le principe était que des restrictions et mesures de contrôles, dont les limites de lixiviation, sont requises afin d’assurer la sûreté environnementale du processus de sortie du statut de déchet.
L’équipe d’ingénierie des matériaux de Golder a également mis au point un protocole de qualité énonçant les critères de « sortie du statut de déchet » selon l’UE pour la fabrication et l’utilisation des produits. Ce protocole permet de démontrer que le matériau est autorisé, car il répond aux exigences techniques pour l’utilisation précise du matériau et respecte la loi ainsi que les normes en vigueur. De plus, il démontre que l’utilisation du matériau n’aura pas de conséquences négatives globales sur l’environnement ou la santé humaine.
Si le protocole de qualité est respecté, le matériau résiduel pourra être utilisé sans danger d’enfreindre la directive-cadre sur les déchets de l’UE. Ainsi, aucune mesure de contrôle ne sera requise pour la gestion des déchets.
Bâtir l’avenir de la construction
Cette avancée constitue la première décision de sortie de statut de déchet en Irlande dans le secteur de la construction et de la démolition, et seulement la deuxième au total en son genre. À l’heure actuelle, notre client est la seule organisation en Irlande qui soit autorisée à recycler du béton afin de produire des agrégats.
Nos futurs travaux porteront sur la revalorisation d’autres types de déchets, dont la brique, le verre et la pierre concassés qui ont été séparés des matériaux de remblayage excédentaires excavés sur le chantier.
Ce projet présente de grands avantages en matière de durabilité et respecte la hiérarchie des modes de traitement des déchets en Europe : d’abord la réduction, puis le recyclage et enfin l’élimination. Selon le principe d’économie circulaire en Irlande, tout matériau doit d’abord être renouvelé et réutilisé dans un objectif de réduction des déchets lorsque possible. Des politiques et documents d’orientation à portée locale et nationale permettront d’assurer le respect de ces priorités.
Ce projet a été finaliste du prix Geoscience Ireland Award en 2019.